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Télé-gérontologie: six ans d’opérations
du Village Virtuel Inter-générations
Dr. Marie-M Bernard 1, M. Fruhwirth 1, P.Ing., Daniel Boivin, B.Sc., LL.B 2 , Vincent Rialle 3, PhD 1 Fondation Internationale PACE2000 ; 2Gowlings, Membre du Barreau de l'Ontario, Canada; 3 Laboratoire TIMC-IMAG UMR CNRS 5525 & SIIM/CHU de Grenoble, France.
A la mémoire du Professeur André Bonnin (1937-2004),
de l’Académie Nationale de Médecine, Paris, France
A notre partenaire visionnaire et notre ami regretté
Introduction: Contexte et Enjeux
Description du Village Virtuel Inter-générations
Barrières rencontrées à l’implantation du VVI et solutions
Retombées et bénéfices du VVI
Conclusions
Bibliographie
Introduction: Contexte et Enjeux
La révolution du nouveau millénaire est amorcée et c’est avant tout le phénomène global de la longévité. Ce fut le thème au coeur de la conférence internationale “Du vieillir au bien vieillir” (Montréal 3-5 octobre 2004): Pour la premi P re fois dans l’histoire de l’humanité, les populations comptent 4 voire 5 générations. Progressivement la pyramide des âges, qui comporte à sa base la génération des plus jeunes, s’inverse par rapport au si P cle précédent. Cette longévité a pour corollaire les opportunités de coexistence de nombreuses générations, et l’augmentation des besoins en services de santé en fonction de l’âge, de l’apparition de handicaps et de situations de dépendance des aînés.
Les politiques actuelles d’organisation et de financement des services pour la communauté reposent sur un schéma traditionnel de vie et d’entraide familiale (relations essentiellement de parents à enfants géographiquement les plus proches) et de services de voisinage: Malgré la coexistence croissante de plusieurs générations, il n’existe pas de passerelle pour les relations entre générations dites « disjointes », de type grands-parents à petits- voire arrière-petits-enfants. Ces générations, déjà ou encore exclues du monde professionnel actif, vivent aussi une ségrégation géographique puisque la plus forte densité des jeunes de 0 à 17 ans s’observe en périphérie des villes, tandis que la quasi-totalité des aînés et des centres de soins longue durée sont en ville. Cette répartition démographique est rapportée par la ville d’Ottawa, Ontario, Canada (Figure 1). Elle illustre l’inaccessibilité inter-générationnelle au quotidien ou par rencontre fortuite : Il n’y a pas ou prou de rencontres qui ne nécessitent de programmation par la génération « sandwich » des parents qui travaillent, et qui sont sur-sollicités sur le plan familial et professionnel. Cette population sandwich est de plus en plus amenée à soigner simultanément parents, grand-parents ainsi que les enfants. Un tel modèle peut facilement aboutir à l’engorgement, d’autant que la relève des travailleurs devient minoritaire.
C’est ainsi que de nombreux aînés vivent seuls et perdent l’habitude de sortir de chez eux, de marcher et de communiquer, tandis que certains jeunes souffrent d’un isolement relatif. Que leur deux parents travaillent, ou qu’ils soient issus de familles mono-parentales, certains n’ont pas de confident et ne disposent pas de lieu de rassemblement en dehors de l’école. De plus en plus nombreuses sont les publications qui font état du rôle néfaste de l’isolement sur la morbidité, y compris sur le pronostic cardiovasculaire et sur la longévité (Références 4 et 11).
La projection des schémas traditionnels d’organisation et de services communautaires à l’êre du phénomène de la longévité, aboutit à l’asphyxie des structures de services et d’entr’aide communautaire, et pénalise l’insertion socio-professionnelle des jeunes et leur accès au monde du travail.
Description du Village Virtuel Inter-générations
Le Village Virtuel Inter-générations (VVI figure 2) assure un lien direct entre utilisateurs distants, aînés et jeunes, combinant la communication verbale, non-verbale et parfois écrite, grâce à l’utilisation de nouvelles technologies utilisant la visioconférence et rendues si conviviales qu’on en oublie leur existence.
Des séances de groupe connectent typiquement un centre de jeunes (Ecole, garderie pré-scolaire, centre d’hébergement pour immigrés) à un centre d’aînés (Centre de Soins Longue Durée, maison de retraite ou club d’âge d’or) pour la réalisation d’activités inter-culturelles avec jeux, chants et échanges, apprentissage linguistique, programmes éducatifs, exercices de télé-physiothérapie, ou autre activité de promotion de la santé, ainsi que le télé-suivi médical à domicile (Shema 1). Pour ces séances de groupe, l’âge moyen des aînés est typiquement 79 ± 8 ans et celui des jeunes 15 ± 5 ans, tandis que les coordinateurs inter-générations sont recrutés et formés parmis les étudiants du secondaire (dernière année), du collège ou de l’université.
Plus récemment des séances individuelles de télé-mentorat (PACE-2-Face ä ) connectent un jeune avec un aîné. Typiquement le jeune bénéficie d’un apprentissage (linguistique ou autre savoir-faire) tandis que l’aîné se familiarise avec l’usage de l’informatique et l’exploration de sites internet, incité par l’étudiant. Les candidats aînés pour ces programmes sont plus jeunes que pour les séances de groupe: Ce sont des retraités actifs qui souhaitent se rendre utiles auprès des jeunes. Les étudiants ont 20 ± 3 ans, selon le projet pilote de 2004.
Ces activités du VVI ne mettent pas à contribution la “génération sandwich”. Dans cet environnement sans confin géographique s’ouvrent des possibilités nouvelles de création de relations complémentaires entre aînés et jeunes, qu’ils soient en institution ou à domicile, sans l’intervention directe de tierces personnes. Les seules limites de ce nouvel espace sont liées à la nécessité de protection des participants, notamment enfants mineurs, personnes présentant handicaps et aînés frêles, et aux possibilités d’accès à ce nouveau medium.
En inaugurant des relations jusque là impossibles à instaurer (par exemple: échanges inter-culturels entre aînés résidents en centre de soins longue durée et jeunes immigrants hébergés dans un centre d’accueil), le VVI crée un nouveau monde dans lequel jeunes et aînés peuvent se découvrir et se lier d’amitié, et dont nous pouvons mesurer les conséquences.
Les technologies utilisées se distinguent et peuvent s’apposer à celles de la télé-domotique et des capteurs de paramètres physiologiques du sujet âgé, car PACE 2000 les a orientées vers la création du réseau relationnel inter-générations et la promotion de l’autonomie des participants. Par la télévision déjà très utilisée par les personnes âgées, il s’agit d’ouvrir une fenêtre sur le monde, dans laquelle la technologie, connectée à leur TV ou un écran d’ordinateur, est si conviviale que les participants en oublient l’existence. Ils entretiennent ainsi des relations familiales et communautaires de leur choix tout en bénéficiant aussi d’un suivi médical (éducation, aide au diagnostic et télé-monitoring à domicile). Les dispositifs de visioconférence sont non-intrusifs, d’accès simplifié avec ergonomie des interfaces adaptée aux handicaps visuels, auditifs et moteurs, sans intervention de technicien sur place. Par mesure de sécurité et de protection des participants du VVI, populations souvent vulnérables, l’annuaire de visioconférence ne connecte que des personnes préalablement enrégistrées au VVI. Par ailleurs aucune donnée médicale n’est véhiculée sur le réseau. Lors des projets de télé-santé, les évaluations médicales sont pratiquées sur une console appelée “mode hospitalier”, qui comprend des outils d’évaluation tels que le goniomètre automatisé des visioconférence, et les données
Barrières rencontrées à l’implantation du VVI et solutions
L’innovation génère divers types de résistance au changement. Dans le cas de l’expansion du VVI, des résistances sont identifiées au niveau organisationnel, institutionnel, auprès des praticiens, et auprès des usagers. L’innovation PACE 2000 se doublait aussi d’une difficulté méthodologique, du fait du lancement simultané de deux nouveautés : l’utilisation de nouvelles technologies et l’instauration de liens inter-générations. Le risque était notamment, qu’une déficience technologique aboutisse à un rejet indû de l’ensemble du projet de VVI.
Lorsque PACE 2000 évoque les difficultés rencontrées au cours du développement du VVI, l’auditoire pense d’emblée aux barrières que les nouvelles technologies représentent pour les aînés et aux préjugés entre les générations. Selon notre expérience ces obstacles sont des barrières transitoires et nous établissons une hiérarchie différente des résistances rencontrées en particulier de celles qui peuvent freiner l’expansion du VVI .
Barrières institutionnelles et organisationnelles : Les institutions ont un mandat et une organisation interne qui leur sont propres; elles tendent à fonctionner en silos. Les centres de soins de longue durée doivent pourvoir en priorité à la santé et à la sécurité d’individus vulnérables. Le personnel ne peut ajouter à ses nombreuses tâches, la coordination de télé-séances de groupe avec des jeunes enfants ou avec de nouveaux immigrants, dont il ne voit d’ailleurs pas la contribution dans la maladie de leurs patients. Si leur direction adhère aux programmes du VVI, des séances d’information et d’initiation sont alors organisées avec leur personnel. Certaines barrières sont alors levées, notamment que VVI et télésanté sont un complément, non un substitut aux prestations de santé.
Pour nos partenaires dont la direction est visionnaire, leurs récréologues contribuent à la préparation des télé-séances hebdomadaires en informant leurs résidents la veille et en aidant l’étudiant coordinateur bénévole à les acheminer au salon PACE 2000, pour les réunir autour d’une table devant la TV et camera, s’il s’agit d’activités inter-culturelles ou de jeux. Dans ces centres de soins longue durée les participants sont pour la plupart atteints de maladies chroniques, ont une moyenne d’âge de 86-89 ans et sont véhiculés en chaise roulante ou civière, que la caméra ne révèle pas . Pour ces participants , c’est l’occasion de se sentir utiles une fois par semaine et de se commémorer les jours restant, les jeux, plaisanteries, chansons, échanges et voyages virtuels de avec leurs jeunes amis.
Nos partenaires institutionnels n’ont pas vu de diminution dans le financement de leur personnel, qui soit liée au développement du VVI, mais plutôt une augmentation des postes de récréologie, musicothérapie et physiothérapie, dont les rôles vont croissant : Forte de trois ans de succès des séances hebdomadaires de télé-physiothérapie qui connectaient les anciens combattants du Perley Rideau aux aînées résidentes du centre d’accueil Champlain (CAC), la direction du CAC a pu négocier un budget complémentaire auprès de son autorité municipale pour des visites de physiothérapeutes sur place .
Le télé-suivi au domicile des patients a nécessité la mise en place de mesures de sécurité (Sélection des participants, contrôle de l’annuaire connecté au serveur, et protection des mineurs pendant les séances), confidentialité et protection de la vie privée (Les seules données enrégistrées sont effectuées sur les stations hospitalières). La fiabilité des mesures de l’autonomie, la mobilité, l’équilibre et du mouvement articulaire, a été évaluée lors de plusieurs projets de télé-santé (1,2,5,6), de façon à préciser, pour le praticien et le professionnel de la santé, la qualité des observations et les limites de ces méthodes. La responsabilité des professionnels est délimitée dans les contrats et formulaites de consentement préalables et par les normes de soins applicables . La juridiction (License et lieu géographique de ces permis professionnels) dépend de plusieurs pays concernés par ces télé-séances. De nouvelles dispositions concernant les actes professionnels par visioconférence sont élaborées dans les provinces du Canada. Une harmonisation est nécessaire : La licence professionnelle est-elle requise dans la province (ou pays) du patient (Choix prépondérant des provinces anglophones), ou dans la province du praticien (Choix du Québec)?
Les centres d’hébergement pour immigrants récents ne voyaient pas de raison qui motive la participation de leurs résidents à des télé-séances avec des aînés : « Nos immigrants doivent avant tout chercher du travail et un logement. Ils n’auront que faire de parler à des aînés ». En fait les aînés avec lesquels communiquent régulièrement ces nouveaux arrivants, sont les premiers et seuls contacts non professionnels que les immigrants ont avec leur pays d’accueil. Pour la plupart, leurs enfants et adolescents ne parlent ni le Français ni l’Anglais. « Il est bon de fonctionner dans un monde où nous n’avons plus peur de communiquer ». « Les Canadiens sont accueillants et nous nous sentons plus ouverts et confiants pour nos prochaines démarches communautaires ». Ces immigrants constituent à présent un important réservoir de bénévolat au sein du VVI, après leur installation.
Barrières politiques et budgétaires : En l’absence de ministère pour la Famille et pour les programmes inter-générations, les budgets du VVI, malgré leurs retombées sur la santé et l’emploi des populations, sont perçus en compétition de ceux alloués conventionnellement à l’Éducation, la Santé, l’Immigration et l’Emploi. Les organismes qui dépendent de ces ministères, et dont les besoins vont croissants, y voient avant tout les risques d’une amputation de leurs ressources, sans anticiper les changements nécessaires au phénomène global de la longévité. Cette crainte est souvent sournoise car il n’est pas politiquement correct de s’opposer aux relations inter-générations.
Barrières auprès des participants du VVI : A des degrés divers, il existe toujours des appréhensions initiales auprès des futurs participants, aînés et jeunes, candidats au VVI. La peur que le virtuel ne remplace le réel, les préjugés envers les aînés, l’appréhension d’une communication devant la caméra et de l’usage des technologies, une timidité naturelle vis à vis d’inconnus et/ou d’étrangers multiculturels…sont les obstacles couramment rencontrés auprès des candidats. Puis opère la magie, au fil des séances et le miracle est de voir ces préjugés disparaître peu à peu pour laisser la place à une authentique complicité (Par exemple : « J’ai hâte de rencontrer la personne qui m’a fait tant rire et qui a rendu mon été dix fois plus intéressant que l’été d’avant ») et des complémentarités qui s’installent peu à peu (« J’aime que mon étudiante m’amène à explorer beaucoup de sites internet, ce que je ne faisais pas de moi-même »). L’appréciation des programmes par les aînés et les jeunes est différente : Les jeunes adhèrent très vite et sont fascinés par les télé-échanges mais ils se laissent aussi décourager plus vite en cas de difficulté, tandis que l’appréciation des aînés croit graduellement (Schéma 3). Ces attitudes différentes illustrent la complémentarité des générations et le soutien qu’ils peuvent offrir.
Les participants du VVI sont à présent une source d’inspiration constante pour générer des nouveaux programmes et applications dont les barrières sont surtout organisationnelles et institutionnelles.
Ce qui emporte l’adhésion initiale des aînés, c’est presque toujours l’opportunité de contacter des jeunes, de leur être utile, et, lorsque ces aînés postulent pour un programme de télé-santé, c’est aussi pour un meilleur accès aux soins. Cependant cette motivation pour une médicalisation à domicile plus flexible et accessible, ne suffit pas la plupart du temps à faire accepter les technologies. C’est la perspective d’une activité récréative et/ou éducative avec des jeunes qui l’emporte.
Les motifs d’enrôlement des jeunes au VVI ne sont presque jamais relationnels (Pourquoi contacter des « vieux »…?). L’exception existe pour les jeunes qui sont candidats du fait de leur expérience d’une relation avec un grand-parent, qu’ils ont perdue (déménagement ou décès). De façon paradoxale, ce sont les liens qu’ils ont créés au cours de ces séances qui constituent à leurs yeux le succès de leur stage et leur engagement ultérieur à de nouveaux programmes.
De nombreuses solutions ont été développées par PACE 2000 pour répondre aux divers niveaux de résistances et de besoins, d’autres sont en cours et feront l’objet de publications ultérieures. En particulier la validation de questionnaires évaluant la préparation des institutions et individus aux programmes inter-générations, notre appui à United Generations Ontario pour l’établissement de guides de bonnes pratiques et d’une trousse de mise en route de programmes inter-générations.
Retombées et bénéfices du VVI
Les résultats des divers projets évalués depuis 1996, ont été présentés à des conférences de télé-santé francophones et anglophones (CST, e-Health, JFIM, groupe ProSanté, Gérontexpo, …etc) , plusieurs ont été publiés ( ) et certains ont été primés (Prix de télémédecine 2000 du Ministère de la santé de l ‘Ontario; prix d’innovation en Gérontechnologies, Gerontexpo, Paris, mars 2003). Ces résultats permettent de conclure que le VVI répond aux objectifs de lutte efficace contre l’isolement et la dépendance des aînés, et, parallèlement, qu’il facilite aussi l’insertion socio-professionnelle des jeunes, y compris la réinsertion communautaire des jeunes sans qualification. Nous souhaitons à présent entreprendre des études prospectives randomisées comparativement aux services conventionnels, pour évaluer au long cours les effets du VVI sur la morbidité, la consommation médicale et la mortalité des aînés. Par ailleurs la mesure de leur contribution à la communauté est quantifiable, ne serait-ce qu’au nombre de télé-séances qu’ils entretiennent avec les jeunes, en particulier dans le cadre du télé-mentorat.
Pour les aînés, le VVI « cultive l’imaginaire », élargit leurs horizons : « Ces séances me donnent l’impression de voyager à travers le monde », « Quand je suis seule dans ma chambre je me rappelle tous ces échanges et cela me fait du bien » (Mme Hedge, pionnière du VVI). Ces séances stimulent aussi l’activité cognitive et /ou l’exercice physique. L’activité qui a, de loin, le plus de succès est la télé-physiothérapie de groupe : Quand on se rappelle que, de nos jours, le manque d’exercice est un problème de santé publique, il est bon de voir que la participation aux séances de télé-physiothérapie croit si vite qu’il faut changer plusieurs fois de salon pour réussir à accueillir tous les candidats. Ces participations au VVI ont des retombées quantifiables : Pour la majorité des aînés de plus de 70 ans, mobilité et mouvement articulaire s’améliorent d P s le troisi P me mois de télé-physiothérapie hebdomadaire, tels qu’évalués par le goniomètre automatisé de visioconférence. Un retard à l’institutionnalisation est illustré dans le cas d’Audrey : Les exercices hebdomadaires en groupe lui ont permis d’accéder à nouveau à ses placards et de se vêtir, ce qui lui a évité l’institution pendant plus de deux ans. Une interruption des télé-séances pendant plusieurs mois du fait du transfert des lignes du VVI depuis le système ISDN (ou numeris) vers les protocoles IP sur Internet (lignes DSL), a fait régresser l’autonomie d’Audrey qui a dû être transférée en institution avant le retour des séances de télé-physiothérapie. Les télé-échanges sont un moyen de lutte contre l’isolement et la dépression : « Je ne pensais pas pouvoir chanter aujourd’hui! » avait dit R. Bordeleau qui avait perdu son épouse depuis peu.
L’engouement des jeunes pour le VVI va souvent au-delà de nos attentes et même des leurs! Ils se portent candidats généralement pour effectuer un stage (Dernière année de secondaire, collège technique ou université) pour l’apprentissage du Français ou de l’Anglais, une expérience en technologies, en communication, sociologie, gérontologie, psychologie, soins infirmiers, physiothérapie etc…D’autres nous sont confiés pour des tendances suicidaires, ou pour une aide à leur crise d’identité de l’adolescence, fugues ou délits. 25% des jeunes qui postulent n’ont personne en qui se confier. Au delà des attentes liées au choix du stage, les retombées inattendues sont d’ordre relationnel : Découvertes d’amis, de confidents, « à qui on peut parler librement de tout sans être intimidé ni jugé »; opportunité « d’entendre comment on peut survivre en ce monde, à quoi ressemble une journée de travail,… »; aide de l’aîné à l’identité d’un adolescent : « Dieu que tu es beau et que tu t’exprimes bien! » « C’est Bruce qui va venir me dépanner mon ordinateur! »; rencontres selon un autre mode, peut-être pour cacher quelque gène et anticiper un apprivoisement : « J’aime qu’on puisse se rencontrer sans être chez eux », mais il ne subsiste aucune gène lorsque les jeunes retrouvent leurs amis-aînés en visites chez eux, au delà du stage.
De façon plus globale, les bénéfices qui nous semblent les plus évidents pour les participants sont liés au fait que le VVI offre une opportunité de rencontres jusqu’alors impossibles: Près de 90% des aînés institutionnalisés et les deux tiers de ceux qui vivent chez eux rencontrent des jeunes moins d’une fois par mois (souvent une fois par an). Certains n’ont pas vu d’enfants depuis plus de dix ans. Depuis le développement du VVI, ces aînés reçoivent des visites hebdomadaires de jeunes, étudiants et/ou immigrants, qui ont noué un lien « virtuel » avec eux, et qui ensuite désirent les rencontrer face à face. Les relations ainsi générées par le VVI ne sont donc pas cantonnées au virtuel et génèrent des liens d’amitié sincère (A titre d’exemple des enfants de 6-9 ans participant depuis plus d’un an à des télé-échanges du VVI, associés à quelques fêtes, ont pleuré lorsqu’une aînée leur a annoncé qu’elle se retirait provisoirement du programme) .
De façon plus subtile, car les relations humaines sont complexes, le VVI semble détenir les prémisses d’un lien d’amitié, selon des règles déjà identifiées par Saint-Exupéry : Les professeurs nous l’expliquent, leurs élèvent auraient senti une intrusion si les aînés s’étaient d’emblée rendus dans leur classe. Ils se sont donc « apprivoisés », comme le renard et le petit prince, par des télé-séances, toujours à la même heure et dans leur environnement réciproque.
Pour les professionnels de la santé, le VVI est une opportunité de réorienter leurs tâches grâce B la flexibilité et rapidité de la télécommunication avec leurs patients et leurs collègues, et de bénéficier de la fiabilité et du partage de certaines télé-évaluations avec documentation automatisée. Ces mêmes technologies peuvent aussi véhiculer un support de communication efficace pour motiver et faciliter l’observance des thérapeutiques auprès des patients atteints de maladies chroniques.
Conclusions
Les conséquences de l’isolement sur les populations vulnérables, jeunes et aînées, sont actuellement reconnues. Les structures traditionnelles de nos institutions communautaires ne permettront pas de répondre au phénomène global de la longévité. A titre d’exemple, une médicalisation intensive du diabète et de l’Alzheimer est peu compatible avec l’explosion démographique de ces maladies, d’autant que la pénurie en professionnels de la santé ne fait que commencer.
Le Village Virtuel Inter-générations est une solution novatrice lancée en 1998, dont les programmes hebdomadaires ouvrent des perspectives nouvelles de choix et d’interactions entre quatre à cinq générations à travers le monde. Le VVI est aussi une solution de suivi et d’entraide communautaire qui peut modifier les modalités et les coûts de dispense des soins de santé.
La santé de toutes nos populations, et l’équilibre de nos budgets de la santé, dépendront de la vision de nos politiciens et décideurs, et de leur rapidité à faciliter ce changement.
(3 figures et un schéma joints)
Bibliographie
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3. Bernard, MD Marie-Madeleine., Mathias Fruhwirth:
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11. Williams RB, et al. MAMA 1992: 267,520-524
figure 1

Schéma 1: Evolution de l’appréciation des télé-séances par aînés et jeunes
figure1

Figure 1 : Démographie respective des aînés et jeunes à Ottawa, Ontario, Canada
VVI

Figure 2 : Principaux partenaires et participants du Village Virtuel Inter-générations

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